J'avais écrit en alexandrins cette pièce de théâtre pour le collège. Le thème était le suivant: illustrer la relation entre l'auteur Virgile et le premier empereur romain, Auguste.
La scène se déroule dans la chambre d'Auguste, dans la maison sobre de ce dernier, sur le Palatin. L'empereur, immobile, contemple Rome par la fenêtre; c'est le crépuscule, et le soleil se couche. Virgile rentre doucement dans son dos, mais l'imperator ne se retourne pas.
VIRGILE
Ave, imperator! Vous m'avez fait mander.
AUGUSTE, de bonne humeur
Virgile, si tu es en ces lieux ce soir,
Ce n'est point moi qui t'appelles, c'est le devoir!
VIRGILE, impassible
Le devoir, auquel cas, m'a instamment sommé
De venir au palais à l'heure où Hélios
Rejoint en leur royaume Hadès et Thanatos.
AUGUSTE
Le devoir a bien fait, et je l'en félicite!
Chaque jour encor je constate son mérite!
VIRGILE
Et est-ce également lui, qui sur le forum,
Vous a fait aujourd'hui exécuter ces hommes?
De cet acte, Caesar, Rome est stupéfaite
Et des patriciens en veulent à votre tête.
Laissez aux gladiateurs les meurtres de sang-froid;
Vous êtes Caesar, votre pensée fait loi;
Si vous tuez ainsi, le peuple vous suivra:
Hécatombes, massacres, deviendront courants;
La terreur... l'anarchie... Vous désirez cela?
Continuez donc, égorgez des innocents!
AUGUSTE, avec un sourire rusé
Mais ces quinze rebelles méritaient le pieu!
Virgile, pour un chef, prudence vaut mieux
Que toutes les hardiesses, et ces sénateurs
Faisaient régner à Rome et l'ivresse et la peur.
VIRGILE
La plèbe, dans les rues, parle de cruauté!
AUGUSTE
L'avis de la plèbe devrait-il m'importer?!
VIRGILE
À force de piétiner la République...
AUGUSTE
Mon oncle le fit bien, et il conquit l'Afrique!
VIRGILE
Il mourut percé de vingt-trois coups de couteaux...!
AUGUSTE
Il aurait dû voir les entrailles des oiseaux!
VIRGILE
Vous suivez ses traces...?
AUGUSTE
Je ne suis que la gloire!
La gloire, la fortune, et surtout le pouvoir!
Ce piège, cet appât mortel sans y songer,
Exquis sans le vouloir, victoire, trophée!
Alors de mon oncle dois-je suivre les traces?
J'ai plus d'ambition; aussi je les dépasse!
VIRGILE
Dépassez également l'âge où il tomba.
AUGUSTE
Mais je n'ai plus ni Brutus, ni Catilina!
Marc-Antoine, mon Sylla, est en ce jour mort,
Je n'ai plus de rival, je suis imperator!
VIRGILE
L'opinion publique, que vous ignorez,
Est pourtant ce nouveau rival à affronter.
En douceur, cette fois, et en subtilité.
Ne pouvant abattre, vous devez apaiser!
AUGUSTE
J'ai assez de bourreaux pour tuer Rome entière.
VIRGILE
Et où trouveriez-vous vos soldats, pour la guerre?
AUGUSTE
J'irai les chercher dans les tréfonds du Tartare!
- Mais redevenons sérieux, car il se fait tard;
Si le devoir, Virgile, vous a exigé,
C'est pour que vous et moi venions à nous allier;
Mon esprit, votre plume, pour manipuler.
Le peuple doit me voir comme divinité.
On plébiscite aujourd'hui votre Bucolique.
Je veux, moi, un poème de style homérique
Qui célébrerait toute ma personne...
VIRGILE, bas, ironiquement
Et vos
Exceptionnels attraits physiques et mentaux.
Plus haut, prenant sur lui:
Et j'ai justement, imperator, eu l'idée
D'une œuvre ayant pour héros le célèbre Énée.
Et je vous ferai apparaître sous ses traits.
Lui, héros de Troie, prunelle d'une déesse,
Fils du charme et d'Anchise, et père de Rome,
Vous serait associé par sa grande noblesse,
Sa beauté et ses qualités de meneur d'hommes.
Je prouverai en ces lignes l'achèvement
De l'Histoire par une paix universelle
Trouvé en liant votre destinée à elle
Et qui clôt une ère par un couronnement.
AUGUSTE
Oui, et toutes vos odes au fils d'Aphrodite
Seront en mon honneur de manière implicite.
Vous me semblez savoir ce que j'attend de vous;
Comprenez-le bien: vous avez la corde au cou.
Un seul vers de travers et vous ne vivrez plus:
Je feins d'oublier que vous avez soutenu
L'amant de Cléopâtre, traître à la patrie,
Mais ma rancœur, Virgile, n'est pas assoupie.
J'ai très peu apprécié vos récentes critiques.
Vous m'avez paru, à l'excès, dithyrambique.
Si vous m'êtes utile, je serai clément...
VIRGILE
C'est trop d'honneurs que vous me faites en plaçant
Entre les mains, Caesar, d'un humble écrivain...
AUGUSTE
Qui s'il est trop humble, ne vivra plus demain!
Virgile ouvre la bouche comme pour répondre, puis se ravise, incline brusquement la tête puis sort d'une démarche fulminante. Auguste demeure quelques instants immobile, regardant la porte par laquelle il vient de quitter la pièce puis, dans un accès de fureur, renverse du plat de la main un vase qui s'abat sur le sol en une multitude de morceaux.
RIDEAU
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