La vie, si on veut bien me permettre une brève digression philosophique avant que j'en vienne au vif du sujet (son roman "l'île des morts") est une chose qui me rappelle de près les plages de la baie de Tokyo.
Il y a maintenant des siècles que je n'ai pas vu ces plages et cette baie, et la vision que j'en garde peut dater. Mais on m'a dit que rien n'a tellement changé sauf en ce qui concerne les préservatifs, par rapport à mes souvenirs.
Je me rappelle une immense étendue d'eau, peut-être plus propre et plus brillante si on regarde à distance, mais bourbeuse, fétide et glacée vue de près, comme le temps qui ronge les objets et les charrie en un perpétuel va et vient. La baie de Tokyo, par un jour donné est susceptible de faire échouer n'importe quoi sur le rivage. Vous n'avez qu'à nommer ce que vous voulez, et elle finit tôt ou tard par le rejeter : un cadavre, un coquillage qui est peut-être de l'albâtre, d'un rose vif pareil à celui de la citrouille, avec une spirale sénestre qui monte inévitablement au sommet d'une corne aussi innocente que celle de la licorne, une bouteille renfermant ou non un message, que vous pourrez ou non, déchiffrer, un foetus humain, un morceau de bois poli avec le trou d'un clou -peut-être un fragment de la vraie croix, qui sait- et puis des cailloux blancs et des cailloux noirs, et des poissons morts, des Saint Pierre évidés, des mètres de câble, des coraux, des algues et ces perles blanches qui furent les yeux du mort. C'est ainsi. Vous laissez l'objet sur place et au bout d'un moment, la baie le remporte. Elle opère de cette façon. Ah oui, autrefois elle pullulait aussi de condoms, témoignages flasques, presque transparents de l'instinct de perpétuer l'espèce une autre nuit plutôt que celle là, parfois porteurs de dessins ou d'inscriptions obscènes, parfois muni à leur extrémité d'une plume. Ils ont presque disparus aujourd'hui ai-je entendu dire comme l'Edsel, la clepsydre et le tire boutons, tués et perforés par la pilule à toute épreuve qui en plus augmente le volume des seins, alors qui s'en plaindrait? Quelquefois, quand je marchais sur la plage dans le matin, fouetté par le soleil, me remettant sous l'action d'une bise froide, des effets du repos et du congé de récupération pris après une petite guerre bien propre en Asie où j'avais perdu un jeune frère, quelquefois j'entendais des cris d'oiseaux, alors qu'aucun oiseau n'était en vue. Ce qui ajoute l'élément du mystère grâce auquel la comparaison est inévitable : la vie est une chose qui me rappelle de près les plages de la baie de Tokyo. Tout arrive des objets bizarres sont rejetés en permanence sur le rivage. J'en suis un, et vous aussi. Nous passons un certain temps sur la plage, peut-être côte à côte, et puis cet élément bourbeux, glacé, fétide vient tout ratisser avec les doigts liquides d'une main qui s'effrite et certains des objets repartent. Les mystérieux cris d'oiseaux sont l'accomplissement de la, condition humaine. Les voix des Dieux ? Peut-être. Finalement ceci dit dans le but de clouer au mur les quatre coins de la comparaison avant de quitter la pièce, il y a deux points qui m'ont incité à l'accrocher là en premier lieu, quelquefois je suppose, les objets emportés peuvent, mus par quelque courant capricieux, être refoulés à nouveau sur la plage. Je n'y assistais jamais autrefois, mais peut-être n'attendais-je pas assez longtemps. D'autre part, vous le savez, quelqu'un peut venir et ramasser un objet trouvé là, pour l'emporter loin de la baie.
C'est les deux premières pages de "l'Île des morts", le héros, Francis Sandow a voulu partir explorer l'espace à une époque où on mettait les passagers en animation suspendue quand il est arrivé, la planète ne lui a pas plu, il a échangé sa place avec le membre d'une expédition qui partait plus loin, quand il est arrivé les hommes voyageaient par des moyens bien plus rapides. il ne connaissait plus rien et plus personne. Il est alors allé frapper à la porte d'un sage Peien une race très sage et très ancienne, et il est devenu aménageur de planètes. C'est comme ça que, pour le caprice d'un milliardaire il a sur une planète qu'il aménageait, créé l'île des morts d'après les tableaux de Bocklin. Francis Sandow apparaît dans deux livres de Zelazny: l'île des morts et le sérum de la déesse bleue.